Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LA MARQUISE DE GANGE

Madame de Gange, au fait des motifs qui empêchaient sa mère de se trouver à ce premier voyage, en parut plus affligée que surprise. — À l’égard de mes beaux-frères, dit-elle au cercle qui l’entourait, l’un d’eux (abbé) ne tardera sûrement pas à venir. Pour le chevalier, forcé d’être à son corps dans ces moments de trouble[1], il me fera peut-être attendre encore quelque temps le plaisir de faire connaissance avec lui.

Monsieur de Gange retint quelques personnes, et l’on se mit à table.

La marquise, un peu plus à l’aise, ne put dissimuler les tristes impressions de sa promenade du matin. On la questionna, elle ne dit mot ; on l’égaya, elle se rendit ; et les premiers huit jours se passèrent en visites réciproques.

L’hiver approchait ; une société plus intime et moins étendue se rassembla, à dessein de passer une partie de la mauvaise saison au château.

Ce n’est pas toujours dans le tourbillon des villes que se trouvent les véritables jouissances de la vie. L’homme du monde, uniquement occupé de son existence, ne cherche qu’à reverser sur lui seul toutes les portions de bonheur qu’il peut saisir sur ce qui l’entoure. Il est égoïste par nécessité : pourquoi chercherait-il à adopter les vertus qui doivent plaire ? A-t-il le temps de

  1. Il s’agit de ceux de la minorité de Louis XIV.