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LA MARQUISE DE GANGE

S. André, beau et bien fait, âgé de vingt ans, mais, quant à l’intérieur, bien différent d’elle. Il étoit fier, fantasque, défiant et jaloux. Peu après les beaux jours du mariage, l’ennui conjugual engagea le marquis à se répandre dans le monde : sa femme en fit autant. Alors la jalousie s’empara du marquis : mais ne trouvant point matière suffisante pour éclater, il renfermoit son chagrin, et s’en tenoit à sa mauvaise humeur, qu’il présentoit souvent à sa femme. Plusieurs années se passèrent ainsi, au bout desquelles l’abbé et le chevalier de Ganges vinrent demeurer avec le marquis leur frère aîné.

L’abbé n’étoit point dans les ordres. Il avoit de l’esprit comme un démon, mais malin, scélérat, libertin, débauché, le tout au suprême degré, violent, emporté, imposteur, déguisant un vrai monstre sous les dehors d’un honnête homme. Le chevalier avoit un esprit médiocre, fait pour être gouverné, et cédant toujours à l’ascendant que l’abbé avoit pris sur lui. Il gouverna aussi le marquis de façon qu’il devint le maître effectif de la maison.

Dès que l’abbé vit la marquise, il en devint amoureux. Pour commencer à la prévenir en sa faveur, il travailla avec succès à éteindre la jalousie de son mari, et elle vit renaître des jours heureux. Quant à la marquise, elle avoit pris l’abbé en aversion, et ne pouvant s’empêcher de le remercier de la confidence qu’il lui avoit faite que le raccammodement étoit son œuvre, elle le fit si froidement qu’il ne pouvoit pas s’en prévaloir : néanmoins il ne se découragea pas. Elle alla passer quelques jours chez une amie à la campagne : il le sçut, et y alla le