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LA MARQUISE DE GANGE

que je n’aime que toi dans le monde ; encore enfant, dans les bras de Castellane, je n’ai pu fomenter dans moi ces sentiments de la passion violente dont toi seul as brûlé mon âme. Ainsi, point de jalousie de ce côté : maîtresse de mes actions, j’ai vu, j’ose dire, à mes côtés, tout ce que la cour avait de plus aimable ; et ce n’est qu’Alphonse de Gange qui m’a paru tel au milieu de tous. Aime-moi donc, cher époux, aime ton Euphrasie comme elle t’adore ; que tous tes instants soient à elle comme tous ses vœux sont à toi ; n’ayons à nous deux que la même âme : ton amour, nourri par le mien, en empruntera toute la force, et tu ne pourras plus t’empêcher d’aimer Euphrasie, comme Euphrasie aimera son Alphonse.

— Oh ! ma tendre et délicieuse amie, répondait le marquis de Gange, que de délicatesse dans tout ce que tu dis ! Comment n’adorerais-je pas celle qui pense ainsi ? Oh ! oui, n’ayons qu’une âme, elle nous suffira pour exister, puisque nous ne le pouvons que l’un par l’autre. — Eh bien ! partons, cher époux, quittons ce séjour dangereux de la galanterie et de la corruption : ce n’est pas où l’on parle toujours d’amour que je veux être, c’est où l’on sait mieux le sentir. Le château de tes pères me paraît si propre à remplir nos vues ! Là, tout me rappellera tout ce qui t’appartient ; en te donnant des héritiers, je fixerai les yeux sur