Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
LA MARQUISE DE GANGE

— Cinq cent mille francs, m’a-t-on dit ? — À peu près. Je crains que mon mari ne soit fâché de n’avoir pas été appelé comme moi dans ce testament. Il est trop juste pour cela : Nochères était le maître ; il a fait ce qu’il a cru devoir faire. D’ailleurs, madame de Châteaublanc et vous, pouvez réparer bien des choses… Euphrasie, qui comprit à merveille ce que le chevalier voulait dire, baissa les yeux, et changea de propos. — Je ne dois plus recevoir le duc de Caderousse, n’est-il pas vrai, mon frère ? — J’imagine que cela ne serait pas prudent ; il sera mieux de ne le point voir ; mais Valbelle, ne trempant pour rien dans tout ceci, Valbelle, doux, aimable et réservé, peut continuer de vous faire sa cour. Il ne faut point s’isoler : cela ferait jaser davantage. — Je ne veux pourtant plus aller à aucun bal. — C’est une précaution excessive, mais je ne puis la blâmer.

Pendant près d’un an que dura cette parfaite retenue de la marquise, le chevalier ne cessa de faire assidûment sa cour à Euphrasie ; et l’abbé, aussi jaloux que perfide, l’entretenait dans cette passion, en l’assurant qu’il finirait par être heureux. Mais l’extrême réserve de la marquise n’annonçait nullement cette époque : elle avait l’art d’entretenir sa flamme, sans jamais lui donner l’espoir ; et, par cette manière adroite, elle croyait s’en faire un ami, un protecteur auprès d’un époux qu’elle ne cessait d’adorer,