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LA MARQUISE DE GANGE

genoux celui dont vous croyez avoir à vous plaindre, et là, comme font toutes les femmes, vous pardonnerez au criminel, uniquement en faveur de son crime. — Je ne pardonnerai rien, dit la marquise au désespoir, je ne veux rien entendre, rien connaître, je veux que vous me déposiez au milieu du chemin, et je trouverai facilement celui qui peut me faire échapper à l’indigne traitement que l’on me réserve. — Vous déposer ici, madame, dans cette périlleuse vallée de Lourmarin, où se réfugient les protestants, et où ils massacrent sans pitié ceux qui viennent les troubler ! — Ils seront pour moi moins à craindre que vous ; ils défendent leurs droits, vous outragez les miens : ces mêmes hommes dont vous voulez m’effrayer peuplent la terre que j’habite ; jamais je n’eus à m’en plaindre ; ils adorent le même Dieu que moi, et ne l’offensent pas comme vous. Laissez-moi, laissez-moi, vous dis-je, ou je vais les appeler à mon secours.

Le seul résultat de cette menace fut de lever avec grand soin deux volets de bois artistement ménagés au-devant des glaces de la voiture, de recommander au cocher de doubler le pas, et de captiver plus fortement la marquise.

— Allons, subissons mon sort, dit cette infortunée : j’ai fait une faute, il faut que j’en sois punie. Divin Seigneur, j’implore ta pitié ; tu me préserveras de dangers aussi grands ; jamais