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LA MARQUISE DE GANGE

de même, et je me retirerai dès que j’en aurai reçu l’ordre de vous. — Eh quoi ! je ne verrai pas mon fils ? Il y a de la cruauté à m’en parler : dès qu’on ne voulait pas que je le visse, il fallait me laisser ignorer qu’il était ici. Que vous ai-je fait, barbare, pour me traiter avec cette sévérité ? — Quand vous plongez à plaisir le poignard dans le cœur des autres, il est bien singulier, madame, que vous vous plaigniez d’être vous-même traitée avec trop de rigueur. — Oh ! mon fils, tes caressantes mains n’essuieront pas les larmes que ton père fait couler chaque jour ; dis-lui du moins à quel point je l’adore ; en voyant sur tes traits cette tendre innocence, peut-être croira-t-il à la mienne ; et ces pleurs dont je ne puis t’arroser ne couleront plus si tu ne réussis.

Il était tard ; l’abbé se retira, en se préparant à aller le lendemain matin frapper sur le cœur de la mère les mêmes coups dont il venait de déchirer celui de la fille.

— Madame, lui dit-il en entrant chez elle, à quelque point que mon frère m’ait recommandé de ne point vous laisser voir votre fille, le désir de vous rapprocher, celui de tout concilier, m’avait fait monter chez elle, pour l’engager à se rendre chez vous. Jugez de ma surprise, quand je n’ai trouvé que de la résistance dans cet esprit rebelle. « Ma mère ne vient que pour redoubler mes maux, ou resserrer mes chaînes, a-t-elle dit