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LA MARQUISE DE GANGE

rendre son cœur ; et je vous perds à jamais près de lui, si vous ne payez mes soins par du retour. — Vous voulez donc, homme cruel et inconséquent, que je regagne le cœur de mon mari en faisant tout ce qu’il faut pour m’en rendre indigne ? — Ces sacrifices seront nuls pour lui, il ne les saura point, et vous me faites infiniment perdre, quand vous n’avez rien à gagner. — Si je suis assez malheureuse pour ne pas recouvrer l’estime de mon mari, j’aurai la mienne ; j’aurai cette tranquillité de conscience qui console de tout ce qui nous a fait mourir en paix ; j’aurai la vôtre, monsieur. On hait, je le sais bien, celui qui refuse la complicité d’un crime ; mais il est impossible qu’on ne l’estime pas.

Et l’abbé, furieux, sort en enfermant lui-même sa malheureuse victime.

À l’instant, Théodore changea de batterie : il fit rendre à la marquise tous les agréments qu’il lui avait fait ôter, et multiplia dans sa prison tout ce qu’il crut pouvoir lui être agréable : livres, papiers, encre, fleurs, oiseaux, tout ce qu’elle aime lui est prodigué ; on ne lui sert avec affectation que ce que l’on sait être de son goût ; et Rose, chaque matin, lui demande l’état de ce qu’elle peut désirer.

— Eh bien ! que pense-t-elle à présent de moi ? dit-il à Rose ; son aversion diminue-t-elle ? — Je ne puis vous dissimuler, monsieur, que madame