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LA MARQUISE DE GANGE

le marquis, il avait cependant moins d’esprit et moins de finesse que l’abbé ; celui-ci était son ami particulier, son conseil, et il se déterminait rarement à quoi que ce pût être, sans les instigations de Théodore. Pour les peindre enfin tous les trois d’un seul trait, nous dirons que le marquis se prêtait au mal, que l’abbé le conseillait, et que le chevalier l’exécutait.

On frémit sans doute, en voyant de quels ennemis va bientôt se trouver entourée la plus douce, la plus aimable et la plus vertueuse des femmes ; mais ne précipitons rien, il nous reste encore bien des choses à raconter auparavant.

Tous les ans, la veille du jour consacré par l’Église à la commémoration des morts, fête lugubre et solennelle, qui date de la plus haute antiquité, et doit son origine à cette piété tendre, à ce respect religieux que l’homme sensible doit à ceux qui l’ont précédé dans la carrière de la vie, et dont il ne reste plus que les dépouilles mortelles ; tous les ans, dis-je, à cette époque, madame de Gange, depuis qu’elle était au château, ne manquait pas d’aller visiter, au labyrinthe, le tombeau dans lequel son époux voulait un jour s’enfermer avec elle : un mouvement plus actif de sa sensibilité ordinaire parut l’y conduire cette fois.

Il était environ cinq heures du soir lorsqu’elle y arriva seule comme à l’ordinaire ; une brume