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LA MARQUISE DE GANGE

cette tendre mère, souvenez-vous que, quelque honnête que soit une femme, elle ne doit jamais être soupçonnée : la vertu, chez elle, est une fleur que le souffle même du zéphir endommage ; le public, naturellement porté à toujours croire le mal, blâme souvent davantage une femme des torts dont elle a l’apparence que de ceux dont elle est réellement coupable. Ceux-ci sont du ressort de sa conscience ; la bonté de son caractère, l’excellence de son éducation doivent l’en garantir ; les autres appartiennent à l’opinion ; et, sans des soins bien particuliers, on captive difficilement celle du monde. Mais il y a de l’injustice, me direz-vous peut-être : assurément il y en a ; mais ce défaut est celui de tous les hommes il faut éviter de leur donner une prise dont il est certain qu’ils profiteront. — Oh ! ma tendre mère, s’écria la marquise, combien sont profondes les blessures de cette calomnie dont j’ai tant à me plaindre ! — Il faut les cautériser dans leur source, répondit madame de Châteaublanc. Voilà pourquoi les précautions les plus rigoureuses sont nécessaires à une jeune femme ; et ce n’est que parfaitement pénétrée de sa religion qu’elle parviendra à se garantir de tous les dangers qu’elle court. Point de véritable morale sans religion : elle seule l’étaie, la soutient ; et comment ne triompherait pas de tous les pièges des hommes celle qui réunit à la crainte d’y succomber l’espoir