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L’ŒUVRE DU MARQUIS DE SADE

venger du monstre qui l’a déshonorée : elle lui donne rendez-vous à onze heures du soir, dans le jardin, pour se battre à l’épée. Sa lettre est écrite de manière à faire croire qu’elle est du frère d’Ernestine Son père envoie de son côté un cartel à Oxtiern, et celui-ci, instruit du projet d’Ernestine, conçoit l’horrible dessein de mettre la fille aux mains avec le père. Effectivement, tous deux arrivent au rendez-vous ; ils s’attaquent et se battent avec vigueur, quand un jeune homme accourt les séparer : c’est l’amant d’Ernestine que l’honnête Fabrice a tiré de prison ; le premier usage qu’il a fait de sa liberté a été de se battre avec Oxtiern qu’il a tué. Il épouse sa maîtresse après l’avoir vengée.

« Il y a de l’intérêt et de l’énergie dans cette pièce ; mais le rôle d’Oxtiern est d’une atrocité révoltante. Il est plus scélérat, plus vil que Lovelace et n’est pas plus aimable.

« Un incident a pensé troubler la seconde représentation de cette pièce. Au commencement du second acte, un spectateur mécontent ou malveillant, mais à coup sûr indiscret, a crié : « Baissez le rideau ! » Il avait tort, car il ne lui était pas permis d’exiger l’interruption de la pièce. Le garçon de théâtre a eu le tort d’obéir à cet ordre isolé et de baisser le rideau plus qu’à moitié. Enfin, beaucoup de spectateurs, après l’avoir fait relever, ont crié : « À la porte ! » sur le turbulent motionnaire, et ils ont eu tort à leur tour, car on n’a pas le droit de chasser un homme d’un spectacle pour y avoir dit son avis. De là est résultée une espèce de scission dans l’assemblée. Une très faible minorité a fait entendre de timides coups de sifflets dont l’auteur a été bien dédommagé par les applaudissements nombreux de la majorité. On l’a demandé après la représentation : c’est M. de Sade. »

Le marquis avait pris le sujet de son drame dans un de ses contes des Crimes de l’Amour : Ernestine, nouvelle suédoise, dont le brouillon existe encore dans le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale.

Dans la nouvelle, l’auteur aurait rencontré Oxtiern travaillant comme forçat dans les mines de Taperg, en Suède, et se serait fait raconter son histoire. Dans ce conte, Ernestine meurt, tuée par son père qui, à la fin du récit, arrive apportant à Oxtiern sa liberté qu’il a obtenue du roi.