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INTRODUCTION

peut-être un des plus intéressants. » Et plus loin, insistant sur le côté systématique et scientifique de cette (œuvre, il ajoute : « Imagine-toi que toutes les jouissances honnêtes ou prescrites par cette bête dont tu parles sans cesse sans la connaître et que tu appelles Nature, que ces jouissances, dis-je, seront expressément exclues de ce recueil. »

À la fin du règne de Louis XIV, peu avant le commencement de la Régence, au moment où le peuple français avait été appauvri par les différentes guerres du roi Soleil, tandis qu’un petit nombre de vampires avaient sucé le sang de la nation, s’étaient enrichis de la misère générale, quatre personnages de cette espèce imaginèrent la « singulière partie de débauche » dont l’exposé forme le contenu de l’ouvrage.

Le duc de Blangis et son frère, l’archevêque de…, établissent avant tout un plan dont ils font part à l’infâme Durcet et au président Curval. Afin d’être mieux liés l’un à l’autre, ils épousent avant tout chacun la fille de l’autre, font caisse commune et destinent annuellement deux millions à leurs plaisirs. On engage quatre maquerelles pour le recrutement des filles et quatre appareilleurs pour celui des garçons, et quatre soupers galants sont donnés chaque mois dans quatre petites maisons de quatre différents quartiers de Paris. Le premier souper est consacré aux voluptés socratiques. Seize jeunes hommes de 20 à 30 ans sont employés comme actifs et seize garçons de 12 à 18 ans comme passifs dans ces « orgies masculines dans lesquelles s’exécutait tout ce que Sodome et Gomorrhe inventèrent jamais de plus luxurieux ». Le second souper est consacré aux « filles du bon ton ». Il y en a douze. Le troisième souper réunit les filles les plus crapuleuses et les plus dégoûtantes de la ville ; elles sont au nombre de 100. Au quatrième souper on attire vingt filles vierges de 7 à 15 ans. De plus, chaque vendredi a lieu un « secret » auquel assistent quatre fillettes enlevées à leurs parents et les quatre femmes de nos débauchés. Chacun de ces repas coûte 10.000 francs, et, comme bien on pense, on sert à profusion les fruits les plus rares dans la saison où généralement on ne les voit point, et les vins de tous les pays. Ensuite nous entrons dans le récit proprement dit qui débute par la peinture de quatre libertins. Cette peinture n’est pas embellie par des couleurs menteuses, les traits qu’elle offre sont naturels.

Avant tout, l’auteur trace le portrait du duc de Blangis et