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L’ŒUVRE DU MARQUIS DE SADE

aussi libre que l’homme. Ces idées, que l’on dégagera quelque jour, ont donné naissance à un double roman : Justine et Juliette. Ce n’est pas au hasard que le marquis a choisi des héroïnes et non pas des héros. Justine, c’est l’ancienne femme, asservie, misérable et moins qu’humaine ; Juliette, au contraire, représente la femme nouvelle qu’il entrevoyait, un être dont on n’a pas encore idée, qui se dégage de l’humanité, qui aura des ailes et qui renouvellera l’univers.

Le lecteur qui aborde ces romans ne remarque souvent que la lettre qui est dégoûtante, et l’analyse ci-dessous n’en peut malheureusement pas livrer l’esprit. Il convient d’ajouter, puisqu’il est impossible de donner le portrait des personnages, que le marquis de Sade pensait qu’il y a « une extrême connexité entre le moral et le physique ».

Justine et Juliette sont les filles d’un riche banquier parisien[1]. Elles ont été élevées jusqu’à 14 et 15 ans dans un couvent célèbre de Paris. Des événements imprévus : la banqueroute de leur père, sa mort, bientôt suivie de celle de leur mère, modifient complètement la destinée de ces jeunes filles. Elles doivent, quitter le couvent et subvenir elles-mêmes aux besoins de leur vie. Juliette, vive, insouciante, volontaire, d’une beauté insolente, se trouve heureuse de cette liberté. La cadette, Justine, naïve, mélancolique et douce, sent toute l’étendue de son malheur. Juliette, qui se sait belle, cherche aussitôt à tirer parti de sa beauté. Justine est vertueuse et veut le demeurer. Elles se séparent. Justine va retrouver des amis de sa famille qui la repoussent. Un curé cherche à la séduire. Elle finit par aller chez un gros négociant, M. Dubourg, qui aime à faire pleurer les enfants. Elle ne lui cache pas son étonnement et son dégoût lorsqu’il lui expose ses théories luxurieuses. Elle lui résiste, et il la met dehors. Pendant ce temps, une certaine Mme Desroches, chez qui elle est descendue, lui vole tout ce qu’elle possède. Justine se trouve à la merci de cette femme qui la met en rapport avec une Mme Delmonse, sorte de demi-mondaine assez chic, qui lui vante les agréments de la prostitution. On essaye de prostituer Justine et on la ramène au vieux Dubourg. Elle résiste encore, et après quelques aventures déplorables, Justine,

  1. Ceci est l’analyse de la troisième rédaction de Justine. Les morceaux que l’on trouvera plus loin sont extraits de la première rédaction, qui est la moins audacieuse.