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INTRODUCTION

Il aimait la bonne chère, ses aises, et il est inutile d’insister sur sa complexion voluptueuse. Il a donné assez de preuves de son humanité sous la Terreur pour qu’on puisse affirmer qu’il était moins cruel que ne le laisseraient entendre certaines de ses actions, grossies et dénaturées, et qu’il ne parait à la lecture de ses ouvrages. On sait qu’il n’a jamais été fou ni maniaque. Les récits de Jules Janin, l’anecdote rapportée par Victorien Sardou et qui représente le marquis de Sade se faisant, apporter à Bicêtre des roses qu’il trempait dans la bourbe puante d’un ruisseau (Chronique Médicale du 15 décembre 1902) apparaissent comme autant de légendes, ayant peut-être un fond de réalité, mais transformées à plaisir par l’imagination de ceux qui, ayant lu Jusline sans en comprendre ni le sens ni la portée, ne pouvaient imaginer son auteur autrement que comme un fou plein de manies criminelles et dégoûtantes. La police du Consulat et de l’Empire, en enfermant le marquis à Bicêtre, puis à Charenton, fut en grande partie la cause de ces racontars et de cette croyance à la prétendue folie d’un homme que ses malheurs auraient suffi à rendre fou s’il avait eu la moindre disposition à le devenir. Les Notes historiques


    le marquis de Sade, qui était son parent par les femmes, se trouvait au donjon depuis le 14 janvier de la même année, et la lettre adressée à M. Le Noir le ler janvier 1778 témoigne de cette ignorance : «…Plusieurs scélérats connus de la France par des crimes horribles et pour qui une prison perpétuelle est une grâce que toute la bonté du souverain pour leurs familles a eu peine à leur accorder ; plusieurs scélérats de cette espèce, dis-je, sont dans des forts où ils jouissent de toute leur fortune, où ils ont une société très agréable et toutes les ressources possibles contre le mal-être et l’ennui inséparables d’une vie renfermée… Faut-il citer {{Corr|nn|un]] de mes parents ? pourquoi non ? La honte n’est-elle pas personnelle ? Le marquis de Sade, condamné deux fois au supplice, et la seconde fois à être rompu vif ; le marquis de Sade, exécuté en effigie ; le marquis de Sade, dont les complices subalternes sont morts sous la roue, dont les forfaits étonnent les scélérats même les plus consommés ; le marquis le Sade est colonel, vit dans le monde, a recouvré sa liberté et en jouit, à moins que quelque nouvelle atrocité ne la lui ait ravie… Vous me blâmeriez, monsieur, si je m’avilissais jusqu’à mettre en parallèle M. de Railly, M. de Sade et moi, mais je ferai cette question simple : De quoi suis-je coupable ? De beaucoup de fautes sans doute ; mais qui osera attaquer mon honneur ?… Cependant, quelle différence de la situation des monstres que j’ai cités à la mienne ! » Mais le marquis de Sade devait lui révéler sa présence, comme en témoigne la lettre à l’agent Boucher, citée plus haut.