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L’ŒUVRE DU MARQUIS DE SADE

Louvre. Ses connaissances étaient étendues sur toutes les matières. Il savait l’italien, le provençal (il s’appelait lui-même le troubadour provençal et composa des vers provençaux) et l’allemand. Il a donné un grand nombre de preuves de son courage. Il aimait par-dessus tout la liberté. Tout, ses actions, son système philosophique témoignent de son goût passionné pour la liberté dont il fut privé si longtemps pendant le cours de ce que son valet Carteron appelait sa « chienne de vie ». Ce Carteron, dans des lettres à son maître, conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal, nous fait connaître que le marquis de Sade fumait la pipe « comme un corsaire » et qu’il mangeait « comme quatre ». Les longues détentions du marquis aigrirent son caractère qui, naturellement, était bien fait, mais autoritaire. On a de nombreux témoignages de ses colères à la Bastille, à Bicêtre, à Charenton. Dans une lettre souvent inexactement citée que Mirabeau écrivait, le 28 juin 1780, à son « bon ange » l’agent Boucher, attaché à sa personne, il raconte une altercation qu’il eut avec le marquis de Sade. Tous deux étaient prisonniers à Vincennes :

« M. de Sade a mis hier en combustion le donjon et m’a fait l’honneur, en se nommant et sans la moindre provocation de ma part, comme vous croyez bien, de me dire les plus infâmes horreurs. J’étais, disait-il moins décemment, le giton de M. de R***[1], et c’était pour me donner la promenade qu’on la lui ôtait. Enfin, il m’a demandé mon nom afin d’avoir le plaisir de me couper les oreilles à sa liberté.

« La patience m’a échappé, et je lui ai dit : « Mon nom est celui d’un homme d’honneur qui n’a jamais disséqué ni empoisonné des femmes, qui vous l’écrira sur le dos à coups de canne, si vous n’êtes roué auparavant, et qui n’a de crainte d’être mis par vous en deuil sur la Grève[2]. » Il s’est tu et n’a pas osé ouvrir la bouche depuis. Si vous me grondez, vous me gronderez, mais, par Dieu, il est aisé de patienter de loin et assez triste d’habiter la même maison qu’un tel monstre habite[3]. »

  1. M. de Rougemont, le commandant du donjon de Vincennes.
  2. Mirabeau et de Sade étaient quelque peu parents par les femmes. (Note de M. Henri d’Alméras.)
  3. Le texte exact de cette lettre, souvent reproduite, a été donné dans l’Amateur d’Autographes de mars 1909. Mirabeau fut enfermé à Vincennes le 8 juin 1777 ; il ignorait que