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voulez de la théologie. Apprenez donc, jeune innocente, que la religion sur laquelle vous vous remettez, n’étant que le rapport de l’homme à Dieu, que le culte que la créature crut devoir rendre à son créateur, s’anéantit auſſitôt que l’exiſtence de ce créateur eſt elle-même prouvée chimérique.

Les premiers hommes effrayés des phénomènes qui les frapperent, durent croire néceſſairement qu’un être ſublime & inconnu d’eux en avoit dirigé la marche & l’influence ; le propre de la faibleſſe eſt de ſuppoſer ou de craindre la force ; l’eſprit de l’homme encore trop dans l’enfance pour rechercher, pour trouver dans le ſein de la Nature les loix du mouvement, ſeul reſſort de tout le mécaniſme dont il s’étonnait, crut plus ſimple de ſuppoſer un moteur à cette Nature que de la voir motrice elle-même, & ſans réfléchir qu’il aurait encore plus de peine à édifier, à définir ce maître giganteſque, qu’à trouver dans l’étude de la Nature la cauſe de ce qui le ſurprenait, il admit ce ſouverain être, il lui érigea des cultes : de ce moment chaque Nation s’en compoſa d’analogues à ſes mœurs, à ſes connoiſſances & à ſon climat ; il y eut bientôt ſur la terre autant de religions que de peuples, bientôt autant de Dieux que de familles ; ſous toutes ces idoles néanmoins il, était facile de reconnaître ce phantôme absurde, premier fruit de l’aveuglement

humain.