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tion de l’infortuné, ne nous l’enlevez-pas ; dès que les hommes nous délaiſſent, qui nous vengera ſi ce n’eſt Dieu ?

— Qui ? perſonne, Théreſe, perſonne abſolument ; il n’eſt nullement néceſſaire que l’infortune ſoit vengée, elle s’en flatte parce qu’elle le voudrait, cette idée la conſole, mais elle n’en eſt pas moins fauſſe : il y a mieux, il eſt eſſentiel que l’infortune ſouffre ; ſon humiliation, ſes douleurs ſont au nombre des loix de la Nature, & ſon exiſtence, utile au plan général, comme celle de la proſpérité qui l’écraſe ; telle eſt la vérité qui doit étouffer le remords dans l’ame du tyran ou du malfaiteur ; qu’il ne ſe contraigne pas ; qu’il ſe livre aveuglément à toutes les léſions dont l’idée naît en lui, c’eſt la ſeule voix de la Nature qui lui ſuggere cette idée ; c’eſt la ſeule façon dont elle nous fait l’agent de ſes loix. Quand ſes inſpirations ſecrètes nous diſpoſent au mal, c’eſt que le mal lui eſt néceſſaire, c’eſt qu’elle le veut, c’eſt qu’elle l’exige, c’eſt que la ſomme des crimes n’étant pas complete, pas ſuffiſante aux loix de l’équilibre, ſeules loix dont elle ſoit régie, elle exige ceux-là de plus au complément de la balance ; qu’il ne s’effraye donc, ni ne s’arrête celui dont l’ame eſt portée au mal ; qu’il le commette ſans crainte, dès qu’il en a ſenti l’impulſion, ce n’eſt qu’en y réſiſtant qu’il outragerait la Nature. Mais laiſſons la morale un inſtant, puiſque vous