pour avoir leur part, c’eſt parce que me trouvant
ſeul alors, je me priverais des moyens qui peuvent
aſſurer la fortune que j’attends de leur ſecours ;
ce motif eſt le ſeul qui retienne également
leurs bras vis-à-vis de moi. Or, ce motif, vous
le voyez, Théreſe, il n’eſt qu’égoïſte, il n’a pas
la plus légère apparence de vertu, celui qui veut
lutter ſeul contre les intérêts de la société doit,
dites-vous, s’attendre à périr. Ne périra-t-il pas
bien plus certainement, s’il n’a pour y exiſter que
ſa misère et l’abandon des autres ? Ce qu’on appele
l’intérêt de la ſociété n’eſt que la maſſe des intérêts
particuliers réunis, mais ce n’eſt jamais qu’en
cédant, que cet intérêt particulier peut s’accorder
& ſe lier aux intérêts généraux ; or, que voulez-vous
que céde celui qui n’a rien ? S’il le fait, vous
m’avouerez qu’il a d’autant plus de tort, qu’il ſe
trouve donner alors infiniment plus qu’il ne retire,
& dans ce cas l’inégalité du marché doit l’empêcher
de le conclure ; pris dans cette poſition, ce qu’il
reſte de mieux à faire à un tel homme, n’eſt-il pas
de ſe ſouſtraire à cette ſociété injuſte, pour n’accorder
des droits qu’à une ſociété différente, qui, placée
dans la même poſition que lui, ait pour intérêt
de combattre, par la réunion de ſes petits pouvoirs,
la puiſſance plus étendue qui voulait obliger le malheureux
à céder le peu qu’il avait pour ne rien retirer
des autres. Mais il naîtra, direz-vous, delà
un état de guerre perpétuel. Soit, n’eſt-ce pas
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