Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 48 )


à les entendre ces gens riches, ces gens titrés, ces Magiſtrats, ces Prêtres, j’aime à les voir nous prêcher la vertu. Il eſt bien difficile de ſe garantir du vol, quand on a trois fois plus qu’il ne faut pour vivre ; bien mal-aiſé de ne jamais concevoir le meurtre, quand on n’eſt entouré que d’adulateurs ou d’eſclaves dont nos volontés font les loix ; bien pénible, en vérité, d’être tempérant & ſobre, quand on eſt à chaque heure entouré des mets les plus ſucculens ; ils ont bien du mal à être ſinceres, quand il ne ſe préſente pour eux aucun intérêt de mentir… Mais nous, Théreſe, nous que cette Providence barbare, dont tu as la folie de faire ton idole, a condamnés à ramper dans l’humiliation comme le ſerpent dans l’herbe ; nous qu’on ne voit qu’avec dédain, parce que nous ſommes pauvres ; qu’on tyranniſe, parce que nous ſommes faibles ; nous, dont les lévres ne ſont abreuvées que de fiel, & dont les pas ne preſſent que des ronces, tu veux que nous nous défendions du crime quand ſa main ſeule nous ouvre la porte de la vie, nous y maintient, nous y conſerve, & nous empêche de la perdre ; tu veux que perpétuellement ſoumis & dégradés, pendant que cette claſſe qui nous maîtriſe a pour elle toutes les faveurs de la fortune, nous ne nous réſervions que la peine, l’abattement & la douleur, que le beſoin & que les larmes, que les flétriſſures & l’échafaud ! Non, non, Théreſe, non ; ou cette Pro-