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vice que je veux bien lui rendre, il s’intéreſſe à mes malheurs, & me propoſe de les adoucir par le don de ſa main. — Je ſuis trop heureux de pouvoir réparer les torts que la fortune a envers vous, Mademoiſelle, me dit-il ; je ſuis mon maître, je ne dépends de perſonne, je paſſe à Genêve pour un placement conſidérable des ſommes que vos bons avis me ſauvent, vous m’y ſuivrez ; en y arrivant je deviens votre époux, & vous ne paraiſſez à Lyon que ſous ce titre, ou ſi vous l’aimez mieux, Mademoiſelle, ſi vous avez quelque défiance, ce ne ſera que dans ma patrie même que je vous donnerai mon nom.

Une telle offre me flattait trop pour que j’oſaſſe la refuſer ; mais il ne me convenait pas non plus de l’accepter ſans faire ſentir à Dubreuil tout ce qui pourrait l’en faire repentir ; il me ſçut gré de ma délicateſſe, & ne me preſſa qu’avec plus d’inſtance… Malheureuſe créature que j’étais ! fallait-il que le bonheur ne s’offrit à moi que pour me pénétrer plus vivement du chagrin de ne jamais pouvoir le ſaiſir ! fallait-il donc qu’aucune vertu ne pût naître en mon cœur ſans me préparer des tourmens !

Notre converſation nous avait déjà conduits à deux lieues de la ville, & nous allions deſcendre pour jouir de la fraîcheur de quelques avenues ſur le bord de l’Iſere où nous avions deſſein de nous promener, lorſque tout-à-coup Dubreuil me dit qu’il ſe trouvait fort mal… Il deſcend,