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dans ce cas-ci vouloir agir différemment ? — Mais la religion, m’écriai-je, Monſieur, la bienfaiſance, l’humanité… — ſont les pierres d’achoppement de tout ce qui prétend au bonheur, dit Roland ; ſi j’ai conſolidé le mien, ce n’eſt que ſur les débris de tous ces infâmes préjugés de l’homme ; c’eſt en me moquant des loix divines & humaines ; c’eſt en ſacrifiant toujours le faible quand je le trouvais dans mon chemin ; c’eſt en abuſant de la bonne-foi publique ; c’eſt en ruinant le pauvre & volant le riche, que je ſuis parvenu au temple eſcarpé de la divinité que j’encenſais ; que ne m’imitais-tu ? La route étroite de ce temple s’offrait à tes yeux comme aux miens ; les vertus chimériques que tu leur as préférées t’ont-elles conſolée de tes ſacrifices ! Il n’eſt plus temps, malheureuſe, il n’eſt plus temps, pleure ſur tes fautes, ſouffre & tâche de trouver, ſi tu peux, dans le ſein des phantômes que tu réveres, ce que le culte que tu leur as rendu t’a fait perdre. Le cruel Roland à ces mots ſe précipite ſur moi, & je ſuis encore obligée de ſervir aux indignes voluptés d’un monſtre que j’abhorrais avec tant de raiſon ; je crus cette fois qu’il m’étranglerait : quand ſa paſſion fut ſatisfaite, il prit le nerf de bœuf & m’en donna plus de cent coups ſur tout le corps, m’aſſurant que j’étais bien heureuſe de ce qu’il n’avait pas le temps d’en faire davantage.

Le lendemain, avant de partir, ce malheu-