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j’éprouvais à en prendre une, n’étant pas née pour cet état. Le malheur que j’avais eu pendant tout cela, de manger le peu que j’avais… Le défaut d’ouvrage, l’eſpoir où j’étais, qu’il me faciliterait les moyens de vivre ; tout ce que dicte enfin l’éloquence du malheur, toujours rapide dans une ame ſenſible, toujours à charge à l’opulence… Après m’avoir écoutée avec beaucoup de diſtractions, M. Dubourg me demanda ſi j’avais toujours été ſage ? Je ne ſerais ni auſſi pauvre ni aussi embarraſſée, Monſieur, répondis-je, ſi j’avais voulu cesser de l’être. — Mais, me dit à cela Dubourg, à quel titre prétendez-vous que les gens riches vous ſoulagent, ſi vous ne les ſervez en rien ? — Et de quel ſervice prétendez-vous parler, Monſieur, répondis-je, je ne demande pas mieux que de rendre ceux que la décence & mon âge me permettront de remplir. — Les ſervices d’un enfant comme vous ſont peu utiles dans une maiſon, me répondit Dubourg vous n’êtes ni d’âge ni de tournure à vous placer comme vous le demandez. Vous ferez mieux de vous occuper de plaire aux hommes, & de travailler à trouver quelqu’un qui conſente à prendre ſoin de vous ; cette vertu dont vous faites un ſi grand étalage ne ſert à rien dans le monde ; vous aurez beau fléchir aux pieds de ſes autels, ſon vain encens ne vous nourrira point. La choſe qui flatte le moins les hommes, celle dont il font le moins de cas,