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fortune qu’elle mépriſe, tout m’en impoſe, & je ſuis au moment de me retirer, lorſque le même laquais qui m’avait parlé la veille, m’aborde, & me conduit, en me raſſurant, dans un cabinet ſomptueux où je reconnais fort-bien mon bourreau, quoiqu’agé pour lors de quarante-cinq ans, & qu’il y en eût près de neuf que je ne l’euſſe vu. Il ne ſe leve point, mais il ordonne qu’on nous laiſſe ſeuls, & me fait ſigne d’un geſte, de venir me placer ſur une chaiſe à côté du vaſte fauteuil qui le contient.

— J’ai voulu vous voir, mon enfant, dit-il avec le ton humiliant de la ſupériorité, non que je croye avoir de grands torts avec vous, non qu’une fâcheuſe réminiſcence me contraigne à des réparations au-deſſus deſquelles je me crois ; mais je me ſouviens que dans le peu de temps que nous nous ſommes connus, vous m’avez montré de l’eſprit : il en faut pour ce que j’ai à vous propoſer, & ſi vous l’acceptez, le beſoin que j’aurai alors de vous, vous fera trouver dans ma fortune les reſſources qui vous ſont néceſſaires, & ſur leſquelles vous compteriez envain ſans cela. Je voulus répondre par quelques reproches à la légéreté de ce début, Saint-Florent m’impoſa ſilence. — Laiſſons ce qui s’eſt paſſé, me dit-il, c’eſt l’hiſtoire des paſſions, & mes principes me portent à croire qu’aucun frein n’en doit arrêter la fougue ; quand elles parlent, il faut les