Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
( 47 )


quelqu’argent, je me fis ſoigner de mon mieux : quelques heures me rétablirent. Je partis dès le point du jour, & m’étant fait montrer la route, renonçant à tous projets de plaintes, ſoit anciennes, ſoit nouvelles, je me fis diriger vers Lyon où j’arrivai le huitieme jour, bien faible, bien ſouffrante, mais heureuſement ſans être pourſuivie ; là, je ne ſongeai qu’à me rétablir avant de gagner Grenoble où j’avais toujours dans l’idée que le bonheur m’attendait.

Un jour que je jetais par haſard les yeux ſur une gazette étrangere, quelle fut ma ſurpriſe d’y reconnaître encore le crime couronné, & d’y voir au pinacle un des principaux auteurs de mes maux. Rodin, ce chirurgien de Saint-Marcel, cet infâme qui m’avait ſi cruellement punie d’avoir voulu lui épargner le meurtre de ſa fille, venait, diſait ce Journal, d’être nommé Premier Chirurgien de l’Impératrice de Ruſſie, avec des appointemens conſidérables. Qu’il ſoit fortuné le ſcélérat, me dis-je, qu’il le ſoit, dès que la Providence le veut ; & toi, ſouffre, malheureuſe créature, ſouffre ſans te plaindre, puiſqu’il eſt dit que les tribulations & les peines doivent être l’affreux partage de la Vertu ; n’importe, je ne m’en dégoûterai jamais.

Je n’étais point au bout de ces exemples frappans du triomphe des vices, exemples ſi décourageans pour la Vertu, & la proſpérité du perſon-