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ſange, qui ne pouvait s’empêcher de prendre à elle le plus vif intérêt, & qui ſans doute ſe disait à elle-même, « cette créature, peut-être innocente, est pourtant traitée comme une criminelle, tandis que tout proſpère autour de moi de moi… de moi qui me ſuis ſouillée de crimes & d’horreurs ; » Madame de Lorſange, dis-je, dès qu’elle vit cette pauvre fille un peu rafraîchie, un peu conſolée par les careſſes que l’on s’empreſſait de lui faire, l’engagea de dire par quel événement, avec une phyſionomie ſi douce, elle ſe trouvait dans une aussi funeſte circonſtance.

Vous raconter l’hiſtoire de ma vie, Madame, dit cette belle infortunée, en s’adreſſant à la Comteſſe, c’eſt vous offrir l’exemple le plus frappant des malheurs de l’innocence, c’eſt accuſer la main du Ciel, c’eſt ſe plaindre des volontés de l’Être ſuprême, c’eſt une eſpece de révolte contre ſes intentions ſacrées… je ne l’oſe pas… Des pleurs coulerent alors avec abondance des yeux de cette intéreſſante fille, & après leur avoir donné cours un inſtant, elle commença ſon récit dans ces termes.


Vous me permettrez de cacher mon nom & ma naiſſance, Madame ; ſans être illuſtre, elle eſt honnête, & je n’étais pas deſtinée à l’humiliation où vous me voyez réduite. Je perdis fort jeune mes