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cette malheureuſe victime de la débauche d’un monſtre.

C’était l’inſtant du dîner de la Comteſſe. Les deux vieilles vinrent m’avertir de la faire paſſer dans ſon cabinet : je l’en prévins ; elle était accoutumée à tout cela, elle ſortit auſſitôt, & les deux vieilles, aidées des deux valets qui m’avaient arrêtée, ſervirent un repas ſomptueux ſur une table où mon couvert fut placé en face de celui de ma maîtreſſe. Les valets ſe retirerent, & les deux vieilles me prévinrent qu’elles ne bougeraient pas de l’antichambre afin d’être à portée de recevoir les ordres de Madame ſur tout ce qu’elle pourrait déſirer. J’avertis la Comteſſe, elle ſe plaça, & m’invita d’en faire de même avec un air d’amitié, d’affabilité, qui acheva de me gagner l’ame. Il y avait au moins vingt plats ſur la table.

Relativement à cette partie-ci, vous voyez qu’on a ſoin de moi, Mademoiſelle, me dit-elle. — Oui, Madame, répondis-je, & je ſais que la volonté de M. le Comte eſt que rien ne vous manque. — Oh ! oui, mais comme les motifs de ces attentions ne ſont que des cruautés, elles me touchent peu.

Madame de Gernande épuiſée, & vivement ſollicitée par la Nature à des réparations perpétuelles, mangea beaucoup. Elle déſira des perdreaux & un canneton de Rouen qui lui furent