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fallait avaler juſqu’à la lie le calice qui m’était préſenté.

Deux autres jeunes garçons de ſeize ans, tout auſſi beaux, tout auſſi énervés que les deux premiers que nous avions laiſſés dans le ſallon, travaillaient à de la tapiſſerie dans ce cabinet. Ils ſe leverent quand nous entrames. Narciſſe, dit le Comte à l’un d’eux, voilà la nouvelle femme-de-chambre de la Comteſſe, il faut que je l’éprouve ; donne-moi mes lancettes. Narciſſe ouvre une armoire, & en ſort auſſitôt tout ce qu’il faut pour ſaigner. Je vous laiſſe à penſer ce que je devins ; mon bourreau vit mon embarras, il n’en fit que rire. Place-la, Zéphire, dit M. de Gernande à l’autre jeune homme, & cet enfant s’approchant de moi, me dit en ſouriant : n’ayez pas peur, Mademoiſelle, ça ne peut que vous faire le plus grand bien. Placez-vous ainſi. Il s’agiſſait d’être légèrement appuyée ſur les genoux, au bord d’un tabouret mis au milieu de la chambre, les bras ſoutenus par deux rubans noirs attachés au plafond.

À peine ſuis-je en poſture, que le Comte s’approche de moi la lancette à la main : il reſpirait à peine, ſes yeux étaient étincelans, ſa figure faiſait peur ; il bande mes deux bras, & en moins d’un clin-d’œil, il les pique tous deux. Il fait un cri accompagné de deux ou trois blaſphêmes, dès qu’il voit le ſang, il va s’aſſeoir à