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culte de cette Divinité, et à des actes d’amour et de réſignation envers l’Être-Suprême dont elle émane, et dont elle est l’image. Une sorte d’enthousiasme venait de s’emparer de moi ; hélas ! me disais-je, il ne m’abandonne pas, ce Dieu bon que j’adore, puisque je viens même dans cet instant de trouver les moyens de réparer mes forces. N’est-ce pas à lui que je dois cette faveur. Et n’y a-t-il pas sur la terre des êtres à qui elle est refusée ? Je ne suis donc pas tout-à-fait malheureuse, puisqu’il en est encore de plus à plaindre que moi… Ah ! ne le suis-je pas bien moins que les infortunées que je laisse dans ce repaire du vice dont la bonté de Dieu m’a fait ſortir comme par une eſpece de miracle ?… Et pleine de reconnaissance, je m’étais jettée à genoux, fixant le ſoleil comme le plus bel ouvrage de la Divinité, comme celui qui manifeste le mieux sa grandeur, je tirais de la sublimité de cet astre de nouveaux motifs de prieres & d’actions de graces, lorſque tout-à-coup je me ſens ſaiſie par deux hommes qui, m’ayant enveloppé la tête pour m’empêcher de voir & de crier, me garrottent comme une criminelle, & m’entraînent ſans prononcer une parole.

Nous marchons ainsi près de deux heures ſans qu’il me ſoit poſſible de voir quelle route nous tenons, lorsqu’un de mes conducteurs m’entendant respirer avec peine, propoſe à ſon camarade de