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fort-avant ; je jette des cris ; le Moine s’en amuſe, après quelques allées & venues, tout-à-coup il retire l’inſtrument avec violence & s’engloutit lui-même au gouffre qu’il vient d’entr’ouvrir… Quel caprice ! N’eſt-ce pas là poſitivement le contraire de tout ce que les hommes peuvent déſirer ! Mais qui peut définir l’ame d’un libertin ? Il y a long-temps que l’on ſait que c’eſt là l’énigme de la Nature, elle ne nous en a pas encore donné le mot.

Le matin, ſe trouvant un peu rafraîchi, il voulut eſſayer d’un autre ſupplice, il me fit voir une machine encore bien plus groſſe : celle-ci était creuſe & garnie d’un piſton lançant l’eau avec une incroyable roideur par une ouverture qui donnait au jet plus de trois pouces de circonférence ; cet énorme inſtrument en avait lui-même neuf de tour ſur douze de long. Sévérino le fit remplir d’eau très-chaude & voulut me l’enfoncer par devant ; effrayée d’un pareil projet, je me jette à ſes genoux pour lui demander grace, mais il eſt dans une de ces maudites ſituations où la pitié ne s’entend plus, où les paſſions bien plus éloquentes, mettent à ſa place, en l’étouffant, une cruauté ſouvent bien dangereuſe. Le Moine me menace de toute ſa colere, ſi je ne me prête pas ; il faut obéir. La perfide machine pénétra des deux tiers, & le déchirement qu’elle m’occaſionne joint à l’extrême chaleur dont elle eſt, ſont prêts à m’ôter