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envieux d’être ſur ſa liſte ; il ſemble que le dégré de ſon aviliſſement & de ſa corruption devienne la meſure des ſentimens que l’on oſe afficher pour elle.

Juliette venait d’atteindre ſa vingtieme année, lorſqu’un certain comte de Lorſange, Gentilhomme Angevin, âgé d’environ quarante ans, devint tellement épris d’elle, qu’il réſolut de lui donner ſon nom ; il lui reconnut douze mille livres de rente, lui aſſura le reſte de ſa fortune s’il venait à mourir avant elle ; lui donna une maiſon, des gens, une livrée, & une ſorte de conſidération dans le monde, qui parvint en deux ou trois ans à faire oublier ſes débuts.

Ce fut ici que la malheureuſe Juliette oubliant tous les ſentimens de ſa naiſſance & de ſa bonne éducation ; pervertie par de mauvais conſeils & des livres dangereux ; preſſée de jouir ſeule, d’avoir un nom & point de chaînes, oſa ſe livrer à la coupable idée d’abréger les jours de ſon mari. Ce projet odieux conçu, elle le careſſa ; elle le conſolida malheureuſement dans ces momens dangereux, où le phyſique s’embrâſe aux erreurs du moral, inſtans où l’on ſe refuſe d’autant moins, qu’alors rien ne s’impoſe à l’irrégularité des vœux, ou à l’impétuoſité des déſirs, & que la volupté reçue n’eſt vive qu’en raiſon de la multitude des freins qu’on briſe, ou de leur ſainteté. Le ſonge évanoui, ſi l’on redevenait ſage, l’inconvénient