Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
( 19 )


ſoir la Duvergier rétrécit, rajuſte, & pendant quatre mois ce ſont toujours des prémices que la friponne offre au public. Au bout de cet épineux noviciat, Juliette obtient enfin des patentes de ſœur converſe ; de ce moment elle eſt réellement reconnue fille de la maiſon ; dès-lors elle en partage les peines & les profits. Autre apprentiſſage ; ſi dans la première école, à quelques écarts près, Juliette a ſervi la Nature, elle en oublie les loix dans la ſeconde ; elle y corrompt entièrement ſes mœurs ; le triomphe qu’elle voit obtenir au vice dégrade totalement ſon ame ; elle ſent que, née pour le crime, au moins doit-elle aller au grand & renoncer à languir dans un état ſubalterne, qui, en lui faiſant faire les mêmes fautes, en l’aviliſſant également, ne lui rapporte pas, à beaucoup près, le même profit. Elle plaît à un vieux Seigneur fort débauché, qui ne la fait venir d’abord que pour l’affaire du moment ; elle a l’art de s’en faire magnifiquement entretenir ; elle paraît enfin aux ſpectacles, aux promenades, à côté des cordons bleus de l’ordre de Cythere ; on la regarde, on la cite, on l’envie, & la fine créature ſait ſi bien s’y prendre, qu’en moins de quatre ans elle ruine ſix hommes, dont le plus pauvre avait cent mille écus de rente. Il n’en fallait pas davantage pour faire ſa réputation ; l’aveuglement des gens-du-monde eſt tel, que plus une de ces créatures a prouvé ſa malhonnêteté plus on eſt

B 3