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mes. — O, juſte Ciel, m’écriai-je, vous me faites frémir. S’il n’y avait pas des crimes contre la Nature d’où nous viendrait donc cette répugnance invincible que nous éprouvons pour de certains délits ? — Cette répugnance n’eſt pas dictée par la Nature, répondit vivement ce ſcélérat ; elle n’a ſa ſource que dans le défaut d’habitude ; n’en eſt-il pas de même pour de certains mets ? Quoiqu’excellens, n’y répugnons-nous pas ſeulement par défaut d’habitude ; oſerait-on dire d’après cela que ces mets ne ſont pas bons ? Tâchons de nous vaincre, & nous conviendrons bientôt de leur ſaveur ; nous répugnons aux médicamens, quoiqu’ils nous ſoient pourtant ſalutaires ; accoutumons-nous de même au mal, nous n’y trouverons bientôt plus que des charmes ; cette répugnance momentanée eſt bien plutôt une adreſſe, une coquetterie de la Nature, qu’un avertiſſement que la choſe l’outrage : elle nous prépare ainſi les plaiſirs du triomphe ; elle en augmente ceux de l’action même : il y a mieux, Théreſe, il y a mieux ; c’eſt que plus l’action nous ſemble épouvantable, plus elle contrarie nos uſages & nos mœurs, plus elle briſe de freins, plus elle choque toutes nos conventions ſociales, plus elle bleſſe ce que nous croyons être les loix de la Nature, & plus au contraire elle eſt utile à cette même Nature. Ce n’eſt jamais que par les crimes qu’elle rentre dans les droits que la Vertu lui ravit ſans