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le voluptueux égoïſte qui eſt perſuadé que ſes plaiſirs ne ſeront vifs qu’autant qu’ils ſeront entiers, impoſera donc, quand il en ſera le maître, la plus forte doſe poſſible de douleur à l’objet qui lui ſert, bien certain que ce qu’il retirera de volupté ne ſera qu’en raiſon de la plus vive impreſſion qu’il aura produite. — Ces ſyſtêmes ſont épouvantables, mon pere, dis-je à Clément, ils conduiſent à des goûts cruels, à des goûts horribles. — Et qu’importe, répondit le barbare ; encore une fois ſommes-nous les maîtres de nos goûts ? Ne devons-nous pas céder à l’empire de ceux que nous avons reçus de la Nature, comme la tête orgueilleuſe du chêne plie ſous l’orage qui le ballotte ? Si la Nature était offenſée de ces goûts, elle ne nous les inſpirerait pas ; il eſt impoſſible que nous puiſſions recevoir d’elle un ſentiment fait pour l’outrager, & dans cette extrême certitude, nous pouvons nous livrer à nos paſſions de quelque genre, de quelque violence qu’elles puiſſent-être, bien certains que tous les inconvéniens qu’entraîne leur choc ne ſont que des deſſeins de la Nature dont nous ſommes les organes involontaires. Et que nous font les ſuites de ces paſſions ? Lorſque l’on veut ſe délecter par une action quelconque, il ne s’agit nullement des ſuites. — Je ne vous parle pas des ſuites, interrompis-je bruſquement, il eſt queſtion de la choſe même ; aſſurément ſi vous êtes le plus fort, & que par d’atro-