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d’un homme raiſonnable que la délicateſſe eût quelque prix en jouiſſance ! Il eſt abſurde de vouloir ſoutenir qu’elle y ſoit néceſſaire ; elle n’ajoute jamais rien au plaiſir des ſens, je dis plus, elle y nuit ; c’eſt une choſe très-différente que d’aimer ou que de jouir ; la preuve en eſt qu’on aime tous les jours ſans jouir, & qu’on jouit encore plus ſouvent ſans aimer. Tout ce qu’on mêle de délicateſſe dans les voluptés dont il s’agit, ne peut être donné à la jouiſſance de la femme qu’aux dépens de celle de l’homme, & tant que celui-ci s’occupe de faire jouir, aſſurément il ne jouit pas, ou ſa jouiſſance n’eſt plus qu’intellectuelle, c’eſt-à-dire chimérique & bien inférieure à celle des ſens. Non, Théreſe, non, je ne ceſſerai de le répéter, il eſt parfaitement inutile qu’une jouiſſance ſoit partagée pour être vive ; & pour rendre cette ſorte de plaiſir auſſi piquant qu’il eſt ſuſceptible de l’être ; il eſt au contraire très-eſſentiel que l’homme ne jouiſſe qu’aux dépens de la femme, qu’il prenne d’elle (quelque ſenſation qu’elle en éprouve) tout ce qui peut donner de l’accroiſſement à la volupté dont il veut jouir, ſans le plus léger égard aux effets qui peuvent en réſulter pour la femme, car ces égards le troubleront ; ou il voudra que la femme partage, alors il ne jouit plus, ou il craindra qu’elle ne ſouffre, & le voilà dérangé. Si l’égoïſme eſt la premiere loi de la Nature, c’eſt

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