Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
( 245 )

Si donc, il exiſte des êtres dans le monde dont les goûts choquent tous les préjugés admis, non-ſeulement il ne faut point s’étonner d’eux, non-ſeulement il ne faut ni les ſermoner, ni les punir ; mais il faut les ſervir, les contenter, anéantir tous les freins qui les gênent, & leur donner, ſi vous voulez être juſte, tous les moyens de ſe ſatisfaire ſans riſque ; parcequ’il n’a pas plus dépendu d’eux d’avoir ce goût bizarre, qu’il n’a dépendu de vous d’être ſpirituel, ou bête, d’être bien fait ou d’être boſſu. C’eſt dans le ſein de la mere que ſe fabriquent les organes qui doivent nous rendre ſuſceptibles de telle ou telle fantaiſie, les premiers objets préſentés, les premiers diſcours entendus achèvent de déterminer le reſſort ; les goûts ſe forment, & rien au monde ne peut plus les détruire. L’éducation a beau faire, elle ne change plus rien, & celui qui doit être un ſcélérat, le devient tout auſſi ſûrement, quelque bonne que ſoit l’éducation qui lui a été donnée, que vole ſûrement à la vertu celui dont les organes ſe trouvent diſpoſés au bien quoique l’inſtituteur l’ait manqué. Tous deux ont agi d’après leur organiſation, d’après les impreſſions qu’ils avaient reçues de la Nature, & l’un n’eſt pas plus digne de punition que l’autre ne l’eſt de récompenſe.

Ce qu’il y a de bien ſingulier, c’eſt que tant qu’il n’eſt queſtion que de choſes futiles, nous ne