Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 16 )


ſollicite les conſeils dont ma jeuneſſe & mes malheurs ont beſoin, & vous voulez me les faire acheter un peu trop cher ». Le Paſteur honteux d’être dévoilé, chaſſa promptement cette petite créature, & la malheureuſe Juſtine deux fois repouſſée dès le premier jour qu’elle eſt condamnée à l’iſoliſme, entre dans une maiſon où elle voit un écriteau, loue un petit cabinet garni au cinquième, le paye d’avance, & s’y livre à des larmes d’autant plus amères qu’elle eſt ſenſible & que ſa petite fiereté vient d’être cruellement compromiſe.

Nous permettra-t-on de l’abandonner quelque temps ici, pour retourner à Juliette, & pour dire comment, du ſimple état d’où nous la voyons ſortir, & ſans avoir plus de reſſources que ſa ſœur, elle devint pourtant, en quinze ans, femme titrée, poſſédant trente mille livres de rente, de très-beaux bijoux, deux ou trois maiſons tant à la ville qu’à la campagne, &, pour l’inſtant, le cœur, la fortune & la confiance de M. de Corville, Conſeiller d’État, homme dans le plus grand crédit, & à la veille d’entrer dans le miniſtère. La carrière fut épineuſe, on n’en doute aſſurément pas : c’eſt par l’apprentiſſage le plus honteux & le plus dur, que ces demoiſelles-là font leur chemin ; & telle eſt dans le lit d’un Prince aujourd’hui, qui porte peut-être encore ſur elle les marques humiliantes de la brutalité des libertins, entre les mains