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voudrait-elle riſquer ſes mœurs dans la ſociété d’une créature perverſe qui allait devenir victime de la crapule & de la débauche publique. Toutes deux ſe dirent donc un éternel adieu, & toutes deux quittèrent le Couvent dès le lendemain.

Juſtine careſſée lors de ſon enfance par la Couturiere de ſa mere, croit que cette femme ſera ſenſible à ſon malheur ; elle va la trouver, elle lui fait part de ſes infortunes elle lui demande de l’ouvrage… à peine la reconnaît-on ; elle eſt renvoyée durement. — Oh Ciel ! dit cette pauvre petite créature ; faut-il que les premiers pas que je fais dans le monde ſoient déjà marqués par des chagrins ! — Cette femme m’aimait autrefois, pourquoi me rejette-t-elle aujourd’hui ? Hélas ! c’eſt que je ſuis orpheline & pauvre ; c’est que je n’ai plus de reſſources dans le monde, & que l’on n’eſtime les gens qu’en raison des ſecours & des agrémens que l’on s’imagine en recevoir. Juſtine en larmes va trouver ſon Curé ; elle lui peint ſon état avec l’énergique candeur de ſon âge… Elle était en petit fourreau blanc ; ſes beaux cheveux négligemment repliés ſous un grand bonnet ; ſa gorge à peine indiquée, cachée ſous deux ou trois aunes de gaze ; ſa jolie mine un peu pâle à cauſe des chagrins qui la dévoraient, quelques larmes roulaient dans ſes yeux & leur prêtaient encore plus d’expreſſion. Vous me voyez, Monſieur, dit-elle au ſaint Eccléſiaſtique…