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pure, & que je n’aurai fait d’autre mal que d’avoir trop écouté les ſentimens équitables & vertueux qui ne m’abandonneront jamais.

Il m’était pourtant impoſſible de croire que les recherches dont le Comte me parlait, fuſſent bien réelles, elles avaient ſi peu de vraiſemblance, il était ſi dangereux pour lui de me faire paraître en juſtice, que j’imaginai qu’il devait au fond de lui-même, être beaucoup plus effrayé de me voir que je n’avais lieu de frémir de ſes menaces. Ces réflexions me déciderent à reſter ou j’étais, & à m’y placer même ſi cela était poſſible, juſqu’à ce que mes fonds un peu augmentés me permiſſent de m’éloigner ; je communiquai mon projet à Rodin, qui l’approuva, & me propoſa même de reſter dans ſa maiſon ; mais avant de vous parler du parti que je pris, il eſt néceſſaire de vous donner une idée de cet homme & de ſes entours.

Rodin était un homme de quarante ans, brun, le ſourcil épais, l’œil vif, l’air de la force & de la ſanté, mais en même-temps du libertinage. Très-au-deſſus de ſon état, & poſſédant dix à douze mille livres de rentes, Rodin n’exerçait l’art de la chirurgie que par goût, il avait une très-jolie maiſon dans Saint-Marcel, qu’il n’occupait, ayant perdu ſa femme depuis quelques années, qu’avec deux filles pour le ſervir, & la ſienne. Cette jeune perſonne nommée Roſalie, venait d’atteindre ſa quatorzième année, elle réuniſſait tous