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» que vous avez ſoufferts pour nous ; puiſſent ceux que j’endure en vous adorant, me rendre digne un jour des récompenſes que vous promettez au faible, quand il vous a pour objet dans ſes tribulations, & qu’il vous glorifie dans ſes peines » !

La nuit tombait : il me devenait impoſſible d’aller plus loin ; à peine pouvais-je me ſoutenir ; je jettai les yeux ſur le buiſſon où j’avais couché quatre ans auparavant, dans une ſituation preſqu’auſſi malheureuſe ; je m’y traînai comme je pus, & m’y étant miſe à la même place, tourmentée de mes bleſſures encore ſaignantes, accablée des maux de mon eſprit & des chagrins de mon cœur, je paſſai la plus cruelle nuit qu’il ſoit poſſible d’imaginer.

La vigueur de mon âge & de mon tempérament m’ayant donné un peu de force au point du jour, trop effrayée du voiſinage de ce cruel château, je m’en éloignai promptement ; je quittai la forêt, & réſolue de gagner à tout haſard la premiere habitation qui s’offrirait à moi, j’entrai dans le Bourg de Saint-Marcel, éloigné de Paris d’environ cinq lieues, je demandai la maiſon du chirurgien, on me l’indiqua ; je le priai de panſer mes bleſſures, je lui dis que fuyant pour quelque cauſe d’amour, la maiſon de ma mere à Paris, j’avais été rencontrée la nuit par des bandits dans la forêt qui, pour ſe venger des réſiſtances que