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leſte, dont vous méconnaiſſez le pouvoir, vengerait les jours que vous auriez détruits, en empoiſonnant tous les vôtres ; & ſans avoir joui de vos forfaits, vous péririez du regret mortel d’avoir oſé les accomplir.

J’étais en larmes en prononçant ces mots, j’étais à genoux aux pieds du Comte ; je le conjurais par tout ce qu’il pouvait avoir de plus ſacré, d’oublier un égarement infâme que je lui jurais de cacher toute ma vie… Mais je ne connaiſſais pas l’homme à qui j’avais affaire ; je ne ſavais pas à quel point les paſſions établiſſaient le crime dans cette ame perverſe. Le Comte ſe leva froidement ; je vois bien que je m’étais trompé, Théreſe, me dit-il, j’en ſuis peut-être autant fâché pour vous que pour moi ; n’importe, je trouverai d’autres moyens, & vous aurez beaucoup perdu ſans que votre maîtreſſe y ait rien gagné.

Cette menace changea toutes mes idées : en n’acceptant pas le crime qu’on me propoſait, je riſquais beaucoup pour mon compte, & ma maîtreſſe périſſait infailliblement ; en conſentant à la complicité, je me mettais à couvert du courroux du Comte, & je ſauvais aſſurément ſa tante ; cette réflexion qui fut en moi l’ouvrage d’un inſtant, me détermina à tout accepter ; mais comme un retour ſi prompt eût pu paraître ſuſpect, je ménageai quelque tems ma défaite ; je mis le Comte dans le cas de me répéter ſouvent ſes ſophiſmes ; j’eus