créatrice que cette maſſe de chair conformant aujourd’hui
un individu bipede ſe reproduiſe demain
ſous la forme de mille inſectes différens ? Osera-t-on
dire que la conſtruction de cet animal à deux
pieds lui coûte plus que celle d’un vermiſſeau, &
qu’elle doit y prendre un plus grand intérêt ? Si
donc, ce dégré d’attachement, ou bien plutôt
d’indifférence eſt le même, que peut lui faire
que par le glaive d’un homme, un autre homme
ſoit changé en mouche ou en herbe ? Quand on
m’aura convaincu de la ſublimité de notre eſpece,
quand on m’aura démontré qu’elle eſt tellement
importante à la Nature, que néceſſairement ſes
loix s’irritent de cette tranſmutation, je pourrai
croire alors que le meurtre eſt un crime ; mais
quand l’étude la plus réfléchie m’aura prouvé que
tout ce qui végete ſur ce globe, le plus imparfait
des ouvrages de la Nature, eſt d’un égal prix à ſes
yeux, je n’admettrai jamais que le changement
d’un de ces êtres en mille autres, puiſſe en rien
déranger ſes vues. — Je me dirai : tous les hommes,
tous les animaux, toutes les plantes croiſſant,
le nourriſſant, ſe détruiſant, ſe réproduiſant
par les mêmes moyens, ne recevant jamais une
mort réelle, mais une ſimple variation dans ce
qui les modifie ; tous, dis-je, paraiſſant aujourd’hui
ſous une forme, & quelques années enſuite ſous
une autre, peuvent, au gré de l’être qui veut les
mouvoir, changer mille & mille fois dans un
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