tion, et l’on verra que, par une impardonnable
maladresse, par un procédé bien fait (comme cela
est arrivé) pour brouiller l’auteur avec les sages et
avec les fous, avec les bons et avec les méchants,
tous les personnages philosophes de ce roman sont
gangrenés de scélératesse. Cependant je suis philosophe ;
tous ceux qui me connaissent ne doutent
pas que j’en fasse gloire et profession… Et peut-on
admettre un instant, à moins de me supposer un
fou, peut-on, dis-je, supposer une minute que
j’aille putréfier d’horreurs et d’exécrations le
caractère dont je m’honore le plus ? Que diriez-vous
d’un homme qui irait exprès tremper dans la
boue l’habit qu’il aimerait le mieux et dont il
tirerait le plus de vanité ? Cette ineptie tombe-t-elle
sous le sens ? Voit-on de telles choses dans mes
autres ouvrages ? Au contraire, tous les scélérats
que j’ai peints sont des dévots, parce que tous les
dévots sont des scélérats et tous les philosophes des
honnêtes gens, parce que la plupart des honnêtes
gens sont philosophes. Qu’on me permette une
seule citation de ces ouvrages dont je parle. Est-il
dans Aline et Valcour une créature plus sage, plus
vertueuse, plus attachée à ses devoirs que Léonore ?
Et cependant en est-il une plus philosophe ? D’une
autre part, est-il au monde un plus grand dévot que
mon Portugais ? Et est-il au monde un plus grand
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CAHIERS PERSONNELS