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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


pouvoir conserver son âme pure n’existe même pas dans ce monde imposteur. Il semble qu’empoisonné de l’air qu’on y respire, il faille se perdre et se corrompre avec les méchants qui l’habitent ; et comme nous nous trouvons toujours avec eux dans la nécessité ou de feindre ou d’être trompés, on dirait que la faiblesse qui nous constitue ne puisse nous laisser d’autre parti que de pleurer avec la vertu ou de rougir avec le vice. Veut-on vivre dans une dangereuse inertie ? On tombe bientôt dans le mépris où l’inutilité nous plonge. Avez-vous fait tête à l’orage ? Alors ou vous remplissez le premier rang ou vous rampez dans le second ; que de poignards s’élèvent sur vous dans le premier cas ; que de fers vous captivent dans l’autre !… Où donc est le bonheur ? Là, poursuit Adélaïde en montrant la tombe ; ce n’est que là où la fin de nos maux nous attend et par conséquent le bonheur, car le bonheur est nul sur la terre. Le malheureux le rêve et ne le voit jamais, et l’être qui croit le réaliser le perd dès qu’il en a conçu l’image. Avouons-le, mes sœurs, l’absence du malheur est la seule joie que puisse goûter l’homme en ce monde, et c’est Dieu qui le voulut ainsi, pour nous apprendre qu’étant lui seul la source de toutes les félicités, ce n’est que dans son sein que l’homme peut y croire. Remer-