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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


Si cette malheureuse vie n’est qu’un point dans l’éternité, peut-on s’occuper d’autre chose que de l’heureux instant qui la termine ? Celui qui pense toujours à la mort ne meurt point ; il est déjà loin de la vie ; déjà les ténèbres de la nuit des temps l’environnent ; il n’a plus la douleur de les entrouvrir pour s’y plonger. Celui-là seul qui tient à la vie la regrette. Ah ! qu’il tourne les yeux sur ce sentier de ronces que ses pas viennent de fouler : pourra-t-il vouloir s’y engager de nouveau pour y ressentir encore les douleurs dont il voit le terme. Cette fin qu’il a la faiblesse de craindre est l’aurore des jours paisibles qui l’attendent, et qui ne doit plus éclairer que le bonheur puisqu’elle dissipe le tourbillon de l’infortune.

— Et ces jardins, mon Père ?

— Ils sont agrestes, vous le voyez, madame ; ils n’offrent aux yeux que l’utile. La terre est un prêt que Dieu nous a fait pour vivre ; n’en abusons pas pour le luxe. Tout parle ici, madame, tout y a le sentiment de la sagesse et de la religion : ce jardin est l’image de la vie, il est semé d’épines comme elle, et nous n’y trouvons ce qui la soutient qu’au milieu de ce qui la détruit.

En ce moment, on vint avertir Urbain qu’une religieuse expirait. Quoiqu’en y allant, il eût