avec lui que je veux vivre, mais avec ses ouvrages,
et je n’ai besoin que de vérité dans ce qu’il me
fournit ; le reste est pour la société et il y a longtemps
que l’on sait que l’homme de société est
rarement un bon écrivain. Diderot, Rousseau,
d’Alembert paraissaient presque imbéciles en
société, et leurs écrits seront toujours sublimes,
en dépit des turpitudes de Messieurs des Débats…
Il est si à la mode d’ailleurs de prétendre juger les
mœurs d’un écrivain d’après ses écrits, cette fausse
conception trouve aujourd’hui tant de partisans,
que l’on n’ose presque plus, de nos jours, essayer
une idée hardie : si malheureusement surtout on
énonce ses pensées sur la religion, voilà la tourbe
monacale qui vous écrase et qui ne manque pas de
vous faire passer pour un homme dangereux. Les
coquins vous brûleraient comme l’Inquisition, s’ils
en avaient le pouvoir ! Doit-on s’étonner d’après
cela que, pour vous faire taire, ils décrient sur-le-champ
les mœurs de ceux qui n’ont pas la bassesse
de penser comme eux ? Au reste, cette injustice
n’est pas nouvelle : nous savons qu’il se trouvait
jadis des gens assez imbéciles, ou du moins aussi
imbéciles que les Geoffroy et les Joudot des Débats,
pour prétendre que l’auteur de la tragédie d’Atrée
était un méchant homme, parce qu’il avait rempli
une coupe du sang du fils de Thyeste.
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CAHIERS PERSONNELS