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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


de celle qu’il aimait, se précipitant aux genoux d’Adélaïde, l’empêcha de fuir.

— Non, divine créature, lui dit-il, non, non, vous ne me quitterez pas ainsi ! S’il est utile à votre bonheur de connaître notre secret, je sens qu’il est encore plus nécessaire au mien de posséder votre céleste personne : ne me blâmez donc pas de mettre l’un au prix de l’autre. Je ne consens au titre de traître qu’en vous fixant à moi pour la vie, et je ne puis trouver que dans vos yeux la force de supporter ma honte. Ne pouvez-vous donc pas me faire le sacrifice d’un honneur chimérique, quand j’immole à vos pieds celui de ma patrie. Le sort de Venise est le prix offert au retour que j’exige de vous. Que votre cœur soit apprécié par vous-même, madame, et voyez s’il vaut et ma vie et celle de mes concitoyens.

— La balance est trop inégale, monsieur, dit Adélaïde. Ce que vous désirez est trop loin de ce qu’il faut sacrifier sans doute, et quoique vous n’eussiez pas dû l’estimer vous-même avec tant d’orgueil, vous méritez cependant ma reconnaissance puisque vous m’éclairez à la fois sur mes torts et sur mon peu de valeur. De ce moment, monsieur, je ne dois plus vous voir. J’aurais peut-être juré de ne point trahir mon amant ; je ne répondrais pas de ne point divulguer le