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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK

— Frédéric a des qualités, lui dit-elle, mais ce sont celles d’un simple particulier : je ne vois point en lui ce noble orgueil, cette élévation qui doit caractériser l’âme des princes. Il est des vertus de tous les états : celles des trônes ne sont pas celles de chaumières ; peut-être conviendrez-vous avec moi que les attributs de celles-ci deviennent presque des torts dans celui qui doit commander aux hommes. Ce qui rend heureux les sujets ne convient pas toujours à la gloire du maître. L’histoire tait ces vertus domestiques nullement dignes de son burin ; elle ne retrace à la postérité que celles qui surprennent le monde, quoique souvent en lui donnant des fers. C’était un époux ambitieux, un guerrier illustre qu’il fallait à mon caractère, et non pas un prince faible dont les bienfaits disparaissent auprès des crimes du héros. À ces qualités très obscures, Frédéric joint les vices du peuple : il ose être jaloux d’une femme comme moi ! Qu’il sache que si j’étais capable de ce qu’il craint, j’honorerais encore plus mes torts qu’il n’illustrerait ses vertus, et qu’on parlerait peut-être avec plus de respect d’Adélaïde coupable que de Frédéric le débonnaire… Pourquoi mon époux ne profite-t-il pas des troubles qui nous environnent pour secouer le joug de l’empereur ? La faiblesse de