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ADÉLAÏDE DE BRUNSWICK


Charlemagne qui voulait nous y faire manquer, et nous préférâmes, vous le savez, ses poignards à ses séductions. D’ailleurs, si j’aime Adélaïde, irai-je la perdre en la rendant criminelle aux yeux de son époux ? La faute que je lui ferais faire, en l’avilissant aux yeux de Frédéric, cesserait de me la faire estimer. Ah ! mon cher comte, l’estime est le premier élément de l’amour, et l’on ne pardonne pas plus les fautes qu’une femme commet en nous aimant que celles où elle se livre en nous outrageant. L’amour qui n’est pas soutenu par l’estime n’est plus qu’un délire des sens qui nous égare ; et le véritable bonheur ne peut exister dans le délire.

— Voilà des sentiments dignes d’un noble chevalier, dit Mersbourg. Mais qu’il serait facile de vous en démontrer la fausseté ! Si votre Adélaïde vous aime, n’est-il pas clair qu’en ne répondant point à ses feux, vous la rendriez nécessairement malheureuse ? En y cédant, direz-vous, c’est du mari que je fais le malheur ? Ici, je vous demande pourquoi, dans l’affreuse nécessité où vous êtes de faire un infortuné, pourquoi, dis-je, vous préférez le bonheur de l’époux à celui de la femme. L’un vous a servi, je le sais, l’autre vous adore peut-être en silence. Il s’agit ici d’immoler ou le sentiment brûlant de l’amour, ou celui,