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une sueur froide me saisit, je me vis perdue sans ressource… Je me laisse tomber à genoux les mains élevées vers elle… Oh madame ! m’écriai-je, ô ! ma chère dame, voulez-vous m’abandonner… Voulez-vous donc me livrer vous-même, j’ose vous implorer comme ma protectrice… Ne sacrifiez pas l’innocence… Mais il n’était plus tems… Elle était déjà loin de moi, six hommes m’entourent aussitôt et me portent presqu’évanouie dans une gondole, qui s’éloignant de l’isle avec rapidité, gagne le canal de la Brenta,[1] et aborde après quatre heures de marche, au pied d’un palais solitaire, où m’attendait mon ravisseur.

On m’apporta à ses pieds, plus morte que vive, et quelque fût l’excès de son libertinage, quelque peu de délicatesse qui put rester dans cette ame grossière, il comprit bien pourtant que mon état ne lui permettait

  1. Canal qui conduit de Padoue à Venise, et dont les rives sont couvertes des campagnes superbes de la noblesse vénitienne.