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me rester aucun doute sur l’affreux destin qui m’était préparé. Me voyant prisonnier, ne connaissant que trop l’usage barbare qu’ils faisaient de leurs captifs, je vous laisse à penser ce que je devins… Ô Léonore, m’écriai-je, tu ne reverras plus ton amant ; il est à jamais perdu pour toi ; il va devenir la pâture de ces monstres ; nous ne nous aimerons plus, Léonore ; nous ne nous reverrons jamais. Mais les expressions de la douleur étaient loin d’atteindre l’âme de ces barbares ; ils ne les comprenaient seulement pas. Ils m’avaient lié si étroitement, qu’à peine m’était-il possible de marcher. Un moment je me crus déshonoré de ces fers ; la réflexion ranima mon courage : l’ignominie qui n’est pas méritée, me dis-je, flétrit bien plus celui qui la donne, que celui qui la reçoit ; le tyran a le pouvoir d’enchaîner : l’homme sage et sensible a le droit bien plus précieux de mépriser celui qui le captive, et tel froissé qu’il soit de ses fers, souriant au despote qui l’accable, son front touche la voûte des