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parut même aucune sorte de viande : tout le repas consistait en une douzaine de jattes d’une superbe porcelaine bleue du Japon, uniquement remplies de légumes, de confitures, de fruits et de pâtisserie. — Le plus mauvais petit Prince d’Allemagne fait meilleure chère que moi, n’est-ce pas mon ami, me dit Zamé. Voulez-vous savoir pourquoi ? C’est qu’il nourrit son orgueil beaucoup plus que son estomac, et qu’il imagine qu’il y a de la grandeur et de la magnificence à faire assommer vingt bêtes pour en sustenter une. Ma vanité se place à des objets différens : être cher à ses concitoyens, être aimé de ceux qui l’entourent, faire le bien, empêcher le mal, rendre tout le monde heureux, voilà les seules choses, mon ami, qui doivent flatter la vanité de celui que le hasard place au-dessus des autres. Ce n’est point par aucun principe religieux que nous nous abstenons de viande, c’est par régime, c’est par humanité : Pourquoi sacrifier nos frères, quand la nature nous donne autre chose ?